Pourquoi
Depuis quelques années, je suis quelques luthiers (guitares & assimilés) sur les réseaux. Parmi ceux-ci, il en est un, Das Viken, dont j’apprécie particulièrement le travail et la philosophie : utilisation de bois de récupération et/ou local, de métal, pas ou très peu de plastique, des colles et vernis les moins nocifs possibles… Une démarche écolo autant que faire se peut, en circuit court et en réseau pour la plupart des pièces.

En fin d’année dernière, il a monté avec d’autres luthiers une coopérative, la Générale Lutherie dans le but de proposer des guitares à monter soi-même, en kit, sous plusieurs formes, afin de permettre à des guitaristes d’avoir accès à des kits de grande qualité (contrairement à ce qui se trouve en majorité sur les internets) à un prix raisonnable. Et pour ceux qui ne savent pas faire est proposé un stage de fabrication de 5 jours chez un des luthiers.
Et là, le 1er modèle, la Shore-meister (en bas dans la page), qui comme par hasard est celui de Gildas Vaugrenard aka Das Viken, me donne très, très envie (toutes les caractéristiques). Après hésitation et négociation (minime), je franchis le pas, et comme je ne suis ni luthier amateur, ni en possession de l’outillage nécessaire, j’opte pour le stage en immersion au cœur de la Bretagne auprès de son concepteur.
On y va !
Mi-juin, direction La Ville Glaye, petit hameau perdu et charmant où se trouve l’atelier de Gildas pour une des semaines les plus intenses de ma vie, à tout point de vue.
D’abord, un accueil aux petits oignons en arrivant la veille. Et puis la découverte de l’atelier, des outils, des kits en vrai.

Et ensuite ça ne rigole pas : 5 jours chrono pour façonner une guitare à partir des éléments dégrossis mais où il y a encore beaucoup à faire. Le principe : le luthier construit le même kit (avec une finition différente, selon les goûts de chacun) durant le stage. Évidemment, vu qu’il maîtrise, outre les instructions pour les bons gestes, et le suivi des étapes, Gildas a le temps de prendre des photos[1], rattraper les conneries (du stagiaire, surtout), expérimenter…
Jour 1 : collage du manche, ponçage
On s’occupe d’abord de coller la touche sur le manche, en insérant bien entendu la tige de réglage (trussrod), pour le laisser serré pendant un jour complet.
Puis on passe au ponçage qui va bien nous occuper, puisqu’on va au fur et à mesure du façonnage passer de gros grain de papier de verre pour supprimer les aspérités à très fin pour avoir une sensation très douce au toucher. Le tout en respectant au mieux la forme définie tout en adoucissant ce qui doit l’être.
Jour 2 : ponçage suite, profilage du manche, teinte
On continue donc de poncer avec des grains de plus en plus fin, la sensation au toucher est… rhaaa lovely ! On s’occupe ensuite de la touche, avec l’arasage des inserts[2] et ensuite avec un support spécifique au bon radius[3] pour le finaliser, avec un geste précis le plus rectiligne possible, un coup de main à prendre.
Vient ensuite (déjà !) le choix de la teinte : j’avais assez envie d’avoir quelque chose de proche d’une couleur “naturelle”, c’est-à-dire sans trop d’intensité ni de variation, mais je ne savais pas trop quoi précisément. Après des tests de teinte, je choisis donc une 1ère teinte un peu sombre pour faire ressortir les veines, un petit coup de ponçage pour ne garder que “l’effet veines”, puis une teinte plus ocre / jaune pour donner un fini “vintage” (à défaut d’un autre terme), et enfin un petit coup de huilage du corps.
Maintenant que le manche est collé, on va s’occupe d’affiner son profil avec râpe, racloir et papier de verre jusqu’à obtenir une finition au top.
Jour 3 : mise en forme de la tête, frettage, planimétrie, polissage, vernissage
Je ne voulais pas garder la forme de la tête par défaut, j’avais envie de quelque chose de plus fin, mais pas pour autant un dessin “connu” style Fender. Avec l’aide de Gildas, j’ai trouvé une forme qui me plaisait. Découpe, puis… ponçage !
Vient ensuite l’étape - qui au départ fait un peu peur - du frettage[4] mais qui se passe bien, en fait. À noter que le manche est déjà prêt à recevoir les frettes. Je passe sur les différentes étapes après le frettage pour que ces éléments soit doux sur la tranche… La suite est plus délicate : il s’agit de faire en sorte que toutes les touches sonnent une fois que les cordes seront installées, et donc de… poncer avec un outil dédié les frettes pour que leur niveau soit idéal. Ça demande évidemment de la précision et des ajustements.
Le polissage, petite étape sympathique qui permet de faire briller le manche, c’est beau !
Étape cruciale et un peu longue mais très agréable : l’application du vernis (gomme laque) au tampon, une technique particulière où on fait des couches et des couches, peu épaisses, dont le fini est vraiment très réussi, et laisse plus “respirer” le bois. Et en plus, ça sent bon !
Jour 4 : vernissage suite, préparation pickguard, précâblage, taille du sillet, pose des mécaniques
Avant dernier jour, on ne faiblit pas le rythme : on continue les couches de vernis au tampon, on ponce un brin le pickguard pour une finition “alu brossé”, on taille le sillet en os et le guidage des cordes (autre opération délicate et précise), on s’occupe de précâbler les micros, les potentiomètres, la prise jack…
Jour 5 : assemblage, tests, réglages finaux
Dernier jour (déjà, ou enfin, selon comme on se place)… on procède à l’assemblage du corps et de la tête, des différents éléments électroniques, du trémolo, du chevalet, on effectue des réglages divers (inclinaison du manche, réglage de chevalet, débogage de l’électronique, etc.), on monte les cordes… et le moment de l’essai est incroyable. Ce son à la fois plein et très précis, je crois que je n’avais jamais joué sur une guitare de ce niveau ! Autant dire que je suis heu-reux !
Bilan
Le premier truc qui me vient à l’esprit est : fatigue ! Même si le kit est déjà préparé en partie, 5 jours pour tout faire, ça n’est pas de trop ! Surtout que c’est le tout premier stage, et qu’on essuie un peu les plâtres. Du coup, la journée debout à s’affairer est plutôt éprouvante, surtout si on considère que le début de semaine tourne à 29-30°C en journée (et que j’ai plus l’habitude d’être le cul sur une chaise). À la fin de la semaine, je suis lessivé mais heureux.
Car oui, le fait de travailler physiquement des éléments qui me plaisent, de faire preuve de précision (sans doute le plus dur pour moi), de savoir que même si on fait une erreur, il y a toujours moyen de la rattraper sans que ça se voit… c’est rudement enthousiasmant ! Je n’en ferais pas mon métier mais c’est chouette de pouvoir intervenir sur un instrument pour de l’entretien courant, voire plus, si on est équipé (l’outillage dédié, ça coûte…).
Et du coup dans la todo list 2022 : installer un atelier digne de ce nom pour pouvoir bricoler correctement et faire de la lutherie à mon (petit) niveau : réparations, ajustements, réglages, etc.
Pour finir, voici quelques photos prises quelques semaines plus tard en condition éclairage de théâtre…
1 Franck ·
De la belle ouvrage, bravo ! J’aimerais la voir en vrai un jour
2 cybergrunge ·
Magnifique ! 🤩
Pourquoi une tête inversée ?
Est-ce qu’on vous a fait coller les frettes, ou seulement marteler ?
Le vernis, c’est de la gomme laque ? Ça fait quel rendu par rapport à un nitro industriel ? Ce n’est pas fragile ?
3 Tomek ·
Franck : Merci ! un jour, un jour…
cybergrunge : pour la tête, d’après les explications de Gildas, en dehors de l’aspect esthétique, c’est une question de tension des cordes, et donc de résonance qui est modifiée. C’est je pense assez subtil.
Les frettes : elles sont serrées avec une sorte de presse dédiée (pas sur les photos), puis éventuellement martelée pour bien les mettre en place. La colle n’intervient que pour combler l’espace entre le socle de la frette préalablement réduit en largeur, et le bord du manche.
Le vernis : c’est effectivement de la gomme laque, j’ai ajouté ce détail dans le texte. Là, on a dû faire 8 couches si je me souviens bien, mais on peut évidemment en faire beaucoup plus. Le rendu est beaucoup plus “transparent”, ça ne fait pas un revêtement épais qui peut éclater avec un choc. En revanche, c’est peut-être un peu plus fragile, notamment par rapport à certains supports de guitare, mais pour le nitro, il y a aussi des incompatibilités de support, donc…
4 Gilsoub ·
Héhé une bien belle guitare et surtout unique
Et coté audio, touché et tutti quanti, cela donne quoi ? Va t’elle devenir ta principale ?
J’ai remarqué que les guitaristes aiment bien fabriquer ou se faire fabriquer leurs instruments ; Je ne sais pas combien de basse mon cousin musicien à modifié, fabriqué ou fais fabriquer ! un jours je lui avais demandé si il y avait vraiment une différence, du coup il avait fait ça !…
En tout cas éclate toi bien avec 
5 Tomek ·
Gilsoub : Alors du coup, maintenant que tu en parles, je me suis dit ce matin qu’il manquait un peu d’infos à ce niveau, donc je vais faire un autre billet pour un comparatif (qui vaut ce qu’il vaut, vu ma petite expérience en terme de guitares…) au niveau du son et de certaines caractéristiques par rapport aux guitares que je joue et connais donc bien.
6 Ginou ·
quelle belle réalisation! De quoi fêter dignement la musique aujourd’hui !
7 Tomek ·
Ginou : Je devais le publier bien avant (il m’a pris du temps à préparer), mais finalement ça tombe bien, oui !
8 Alison ·
Magnifique reportage sur la naissance d’une très belle guitare : bravo !
9 Tomek ·
Alison : Merci ! J’ai mis beaucoup trop de temps à le rédiger, heureusement que j’ai pu me replonger dans les publications de Gildas pour me remémorer les étapes de façon précise.