Le ton & les larmes
D’abord, il y a le ton si particulier des voix-off de ce type de reportages[1], un ton de connivence, moqueur parfois, au débit particulier, insistant sur certains mots, dramatisant par des pauses bien senties, très assuré dans ses affirmations. On sent que le monsieur sait et veut faire passer son message. C’est rassurant, il ne va pas nous raconter de salades - sous-entendu : comme tous les autres.
Ensuite, on voit bien les ficelles : on joue énormément sur l’émotion, le pathos, procédé sans doute destiné à impliquer le téléspectateur à l’égard de la détresse des personnes ayant perdu leur emploi, ou s’étant suicidée (photo en gros plan). Le procédé est grossier, mais soit, on veut nous démontrer des choses.
Bon, et si on rajoutait quelques éléments de mise en scène histoire de construire le doc comme un thriller ? Un vieux téléphone rouge à cadran rotatif dans une fausse cabine, et le tour est joué. Ça tombe bien, on va parler (entre autre) des Pages Jaunes.
Cash, vous avez dit ?
Étant donné que les questions à poser sont dérangeantes pour l’interlocuteur, difficile d’obtenir un rendez-vous. C’est là qu’intervient le procédé d’interpellation durant une réunion, ou à sa sortie, ou ailleurs, efficace et fédérateur. C’est très pertinent. Une belle marque de fabrique qui fait à raison la réputation de cette émission.
Il faut bien avouer que c’est rassurant voire rafraîchissant de voir des journalistes poser des questions importantes et ne pas lâcher, alors qu’on voit à quel point beaucoup d’autres se contentent de servir les plats aux politiques et personnages importants. Là non, et ça dénote.
Du fond, oui mais…
Sur le fond, je ne remets aucunement en cause je me réjouis de voir la dénonciation des fonds spéculatifs, des grosses boîtes prédatrices d’affaires à haut rendement… plus on en parle, mieux c’est. Plus l’information circule, plus la prise de conscience sera grande. Et on ne sait jamais, on peut toujours espérer une réaction massive. Bref.
Le tout est de savoir quelle est la meilleur manière d’aborder le sujet. J’ai eu l’occasion aujourd’hui d’échanger avec une personne à propos du sujet sur les Pages Jaunes. Elle m’a expliqué travailler dans cette entreprise et avoir été choquée par le reportage qui donnait une vision biaisée et généralisait à outrance les conditions de travail et l’état d’esprit qui y régnaient. Ça n’était clairement pas ce qu’elle vivait au quotidien.
De l’honnêteté intellectuelle
Un reportage / documentaire qui souhaite faire prendre conscience d’une situation et dénoncer des dérives à son audience se doit d’utiliser les moyens en sa possession. Les 2 que j’ai vu coup sur coup utilisent des procédés similaires (l’interview où l’on sent les interlocuteurs gênés car pris en défaut), mais là où le reportage d’Arte ne joue pas (ou peu) sur l’émotion et la généralisation des processus en cours mais pointe des faits précis, celui de “Cash Investigation” cherche à faire réagir de façon instinctive le spectateur, et y parvient tout à fait. Loin de nier l’indécence des rémunérations vertigineuses des patrons & actionnaires, on peut aussi ne pas déformer les faits pour en faire un réquisitoire à charge d’une honnêteté intellectuelle douteuse.
En conclusion
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : ce type d’émission est indispensable, la pugnacité d’Élise Lucet est à souligner, les faits dénoncés doivent l’être avec force, mais la course à l’audience semble quelque peu dévier la rigueur journalistique. On ne peut que souhaiter une approche moins sensationnaliste des sujets traités permettant une vraie crédibilité à ce programme.
Note
[1] Qui me font fuir immédiatement. Là j’ai réussi à passer outre.